Histoire de rencontre : Thierry Breton, Ministre de l’Economie

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Je commence ici une petite série de portraits des gens que ma vie chez Sixième Son m’a amené à rencontrer.

L’idée n’est pas de moi, c’est un journaliste qui me l’a soufflée. Il n’y aura pas de scoops ni de confidences incroyables mais j’espère que cela permettra de voir certains personnages, plus ou moins publics, sous un autre angle, celui par lequel je les ai connus, le temps d’une réunion, d’un déjeuner ou d’un diner de travail, souvent le temps d’une présentation. D’Anne Lauvergeon à Christine Lagarde, de Dennis Hennequin, le nouveau patron du groupe Accor, à Stéphane Diaganna, l’un de nos athlètes les plus attachants, de Lionel Jospin à Jacques Maillot, le fondateur de Nouvelles Frontières et à ses heures chroniqueurs radio populaires, de François Bayrou à Jacques Séguéla notamment. Avec eux tous, j’ai parlé identité sonore, j’ai souvent parlé entreprenariat mais bien souvent j’ai parlé de choses différentes qui ont à voir avec l’émotion et la magie de la musique.

Aujourd’hui, Thierry Breton, printemps 2006

Quand j’entre dans le bureau de Thierry Breton, j’ai le sentiment d’être à la tête d’une petite armée mexicaine, une troupe au look improbable mais qui a quelque chose à voir avec le pouvoir. Quand un huissier ouvre la porte du bureau du Ministre de l’Economie et des Finances, les regards se tournent d’abord vers Julie – Directrice de Clientèle chez Sixième Son -, petit bout de femme charmante et timide dont le look assez design interpelle et dénote ici. Puis les regards se tournent vers moi. Je dois faire mon entrée. Nous quittons donc l’antichambre à la moquette blanche particulièrement épaisse et au luminaire Pipistrello assortis. Premier Loupé : j’entre et je n’ai pas vu le Ministre, qui cherche mon regard, Il est à son bureau, là sur la droite, quand moi je cherchais face à moi où se trouve une table de travail vide et une grande table de réunion. Son bureau surplombe le Quai de la Rapée, avec un vis-à-vis direct sur l’immeuble de la BRED. Le mobilier en laqué de noir et l’ensemble de la pièce a une esthétique très années 70, un peu fatiguée. La photo en noir et blanc du Ministre avec René Monory, son mentor, doit elle aussi dater des années 70. Chirac trône à gauche. Derrière moi, toujours debout, ils sont cinq. La Directrice de la Communication, le responsable du service communication, le Chargé de Mission Communication auprès du Ministre, le Chef de Cabinet du Ministre et enfin, Julie. Le Ministre est assis, mais se rend compte qu’il va devoir bouger, nous ne tiendrons pas tous autour de son bureau d’autant que maintenant son Directeur de Cabinet entre par une porte dérobée de l’autre côté de la pièce.

Je me dis que cette réunion réunie la fine fleur du Ministère alors qu’on ne va parler ni fiscalité, ni loi de finances, ni préparation du prochain sommet du G8. Nous allons parler identité sonore. Faut-il autant de monde…

Finalement, nous nous mettons tous à la table de réunion, tous sauf le ministre et le directeur de cabinet qui s’installent dans des fauteuils quelques mètres plus loin. Leur posture est détendue – trop peut-être – et ressemble un peu à celle qu’adoptent les hommes d’affaires dans le lobby des grands hôtels à l’heure de l’apéritif.

Thierry Breton attaque fort. « De quoi êtes vous venu me parlez ?»

Honnêtement, j’avais envisagé beaucoup d’entames mais pas celle là. Moi, je ne suis pas là pour parler. L’ordre du jour était clair : A l’initiative du ministre, Bercy va se doter d’une identité sonore. Sixième Son a été retenu. Thierry Breton a voulu me faire part de sa vision de ce que devrait être cette musique. Je suis donc là pour écouter et éventuellement pour répondre à ces questions.

Je recadre donc : « Monsieur le Ministre, je suis là pour écouter ». Je comprends mieux la posture détendue. On va rigoler – moi excepté. C’est partie pour 30 minutes pendant lesquels ça va littéralement être ma fête.

« Qu’est-ce qu’on a actuellement en musique d’attente ? Ah oui, Mozart, Ah Mozart. Et vous, jeune homme, vous pensez que vous allez faire mieux que Mozart. C’est ça ». Pendant 30mn, Thierry Breton va me faire regretter de m’être réjouit trop tôt de la perspective de cette rencontre. Son monologue est illustré et argumenté. Oser vouloir créer pour Bercy est à la limite du blasphème, sauf pour quelques génies que la musique ne produit plus. Personne ne moufte et personne ne vient en soutien. Le Chef de Cabinet se fait tout petit. C’est lui qui est censé avoir transmis la demande du ministre. C’est par lui qu’est censé être passée l’ordre du jour de la réunion. Or, à ce stade, le Ministre sous-entend clairement que l’objet de cette réunion est sans intérêt. Le Chargé de Communication se demande se qu’il fait là. Le Chef de Service regarde ses ongles. Seul le Directeur de Cabinet a le sourire, ce passage au grille lui offre une petite récréation dans une journée que j’imagine autrement plus compliquée et stressante. Thierry Breton poursuit sur le génie musical, les grands compositeurs français, la vitrine que représente Bercy et le standard que cela impose.

Il insiste. Je ne sais d’ailleurs pas exactement pourquoi puisque le seul message qu’il continue d’asséner est que ma présence et l’objet de cette réunion n’ont qu’un fondement douteux. « Identité sonore, je ne vois pas. Sérieusement, vous pouvez me citer une entreprise avec une identité sonore, comme vous dites. Une musique que les français connaissent et qui représentent une entreprise. Ne me sortez pas les vieilles musiques publicitaires, je vous parle de choses actuelles ». Il me faut trois secondes pour comprendre le petit jeu de Thierry Breton, trois interminables secondes de solitude, d’abîme et d’angoisse. Oui, mais j’ai compris. Enfin. La lumière surgit alors que mes compagnons d’infortune nous croit à l’heure de la mise à mort. Et je passe à la contre-offensive. Oui, il était temps tant mes voisins n’étaient pas loin de crier grâce. Julie comprend mal mon œillade. Elle, qui m’a pourtant vue sortir de situations complexes et délicates, me répond par un regard où se mêlent la lassitude, l’angoisse et le renoncement. Un regard à la Roger Gicquel diraient les plus de quarante ans.

Il y a une brèche et je vais m’y engouffrer avec plaisir, que dis-je, avec délectation. Après 30 minutes de souffrances, j’attaque le second set avec la hargne et la volonté d’en découdre. La fine équipe qui m’entoure va assister, tout d’abord avec perplexité puis soulagement au retournement d’une situation compromise et qui embarrasse chacun des protagonistes. Le défi est de répondre sans sourire, avec le serieux et la solennité que le lieu requiert, mais cela doit être clair, l’ironie dans mes propos sera flagrante et chacun pourra conclure que jamais dans ce combat je n’ai été au tapis.

« Nous pourrions par exemple évoquer une grande société française, un fleuron de notre industrie comme l’est France Télécom. Son identité sonore est bien connue des Français. Je peux vous en chanter quelques notes si vous voulez. » Je laisse un blanc. Il fait mine de ne pas comprendre, il entre dans mon jeu. Pour mémoire, Thierry Breton a pris le portefeuille ministériel en mettant fin à son mandat de Président… de France Télécom.

Je poursuis. « Il n’y a pas que la mémorisation du message qui compte. Il y a le message lui-même. Son sens, ce qu’il apprend à celui qui l’écoute. La musique est un langage, sa compréhension répond à des codes, un peu comme des codes vestimentaires. Voyiez vous la grande musique, Mozart par exemple, ça ne va pas à tout le monde ou parfois, on peut le déplorer, ça va à trop de gens. Le hasard fait drôlement les choses, Monsieur le Ministre. L’extrait de Mozart qui habille votre message téléphonique est le même que celui que j’entends lorsque j’appelle… les coursiers de Sixième Son. Ne m’avez-vous pas dis, il y a quelques minutes, toute la singularité de ce lieu, de cette fonction, de cette administration. Et pourtant, la vitrine qui l’habille n’a rien de singulier, à en croire ma petite expérience téléphonique. Vous me parliez également des grands compositeurs. Je vous réponds grands couturier. Je ne suis pas Christian Dior, ni Coco Chanel, mais je sais de quoi nous parlons. Je crois que la raison pour laquelle votre Directrice de la Communication m’a choisi après réflexions et une comparaison documentée, c’est qu’elle a compris que le talent de Sixième Son est d’être un formidable tailleur sur mesure, unique en son genre et capable de merveille. Avec nous, vous ne porterez pas les vêtements d’un autre, fut-il un célèbre créateur, mais bien les vôtres. Ensemble, nous prendrons les mesures, choisirons le tissu, marquerons les retouches pour qu’en fin de compte cette création vous ressemble plus qu’elle ne me ressemble, pour qu’elle vous fasse du bien, à vous, à ceux qui vous entourent, à ceux qui s’adressent à vous. A titre personnel, je trouve la collection Corolle de Christian Dior tout simplement splendide et révolutionnaire, subversive et géniale. Cela ne signifie pas que je m’habillerai – ou habillerai ma femme de cette façon. »

On entend les mouches voler. Je tente une estocade.

Maintenant, si vous voulez vous divertir ou vibrer à l’écoute de Mozart, je serai le dernier à vous en dissuader. Ce n’est à mon sens pas l’objet de notre rencontre.

Je sens que le Chef de Cabinet désapprouve ma dernière phrase que l’on peut clairement jugée cavalière. C’est un excès de confiance, une illustration malheureuse, que je me laisse grisé. C’est vrai, j’aurai pu dire aussi bien : « Si ce n’est pas d’identité sonore dont nous devons parler, autant arrêter de discuter». Boulette donc. Bien sur, ce n’est pas à moi de mettre fin à ce genre d’entretien.

Thierry Breton sourit. Je pense même qu’il exulte. Ma petite tirade l’a bien amusée. Je lui ai rendu la monnaie de sa pièce, c’est ce à quoi il aspirait. C’est ce qu’il espérait. Je ne suis pas dupe, mais lui non plus. Voilà. Il m’adoube comme sparing partner. Allez, maintenant, au travail.

Dans les 45 minutes que durera encore cet entretien, il me fera finalement part de son brief de marque. Je n’ai pas à en révéler la teneur ici. Juste une phrase.

Thierry Breton, dans sa présentation du Ministère, me donnait les raisons de la popularité toute relative de Bercy. « Notre métier, c’est pour beaucoup de prendre de l’argent au français, avec des taxes, des impôts, des contributions diverses et variées ». Immédiatement, son Directeur de Cabinet réplique. « Monsieur le Ministre, à ce petit jeu, nous devrions être populaire, nous donnons bien plus aux Français qu’eux même nous donnent ». « C’est exact, réplique Thierry Breton, c’est d’ailleurs cela que l’on appelle la dette ». Jolie définition.

Je ne reverrais plus Thierry Breton, qui quittera Bercy au moment du départ de Jacques Chirac.

Le mois prochain Jacques Séguéla.

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